Les Objets Connectés : la nouvelle génération d'Internet ?

13/09/2013

L'Internet des Objets (en anglais Internet of Things, ou IoT) est une thématique clé de l'écosystème de la Silicon Valley, régulièrement présentée comme le concept phare des prochains cycles technologiques et d'investissements locaux. Pourtant, le grand public continue de se perdre entre les termes RFID, domotique, Big Data ou M2M (Machine to Machine), et les horizons infinis de la nouvelle ère informatique annoncée à grand bruit le laissent souvent songeur. Les résultats de la recherche universitaire menée à UC Berkeley [1], Caltech ou Stanford sur les secteurs intrinsèques à l'IoT sont régulièrement noyés dans le buzz réalisé autour du potentiel des objets interconnectés qui inondent notre quotidien. Si ingénieurs, académiques et investisseurs s'accordent sur l'impact majeur qu'aura l'Internet des Objets sur le business et plus largement sur les cultures modernes [2­4] (notamment en démultipliant le nombre et le type de services associés à tous nos ''objets connectés'') l'Internet des Objets n'est aujourd'hui qu'aux prémisses de son essor. Les définitions du concept sont nombreuses, et les protocoles et normes toujours en cours de développement. Que peut­on donc attendre de l'Internet des Objets à moyen terme ? L'attention portée par les gouvernements [5­6], les manufacturiers et les acteurs de l'industrie IT au sens large est­elle justifiée ? Le concept d'Internet des Objets n'appelle­t­il pas une vision et des perspectives plus utiles que la dimension "gadget" qui reste malheureusement souvent mise en avant ? Comme le souligne très justement un récent rapport de la Silicon Valley Bank daté de juillet 2013 [7], l'Internet des Objets est un terme chapeau englobant une série d'industries étroitement interconnectées ­ chacune caractérisée par sa propre dynamique économique et ses caractéristiques ­ et devrait être comprise comme une évolution plutôt qu'une nouvelle révolution... toujours annoncée.

Quelle définition retenir ?

Considérons l'Internet des Objets comme un environnement ultra­connecté permettant une infinité d'interactions entre des objets physiques diffus et leurs représentations virtuelles. Plus précisément, l'IoT décrit "un réseau de réseaux permettant, via des systèmes d'identification électronique [...] et des dispositifs mobiles sans fil, d'identifier [...] des objets physiques et ainsi de pouvoir récupérer, stocker, transférer et traiter, sans discontinuité entre les mondes physiques et virtuels, les données s'y rattachant" [2]. Les interactions entre objets sont rendues possibles grâce à l'intégration aujourd'hui facilitée de capteurs et contrôleurs (c'est le cas dans la plupart des systèmes complexes actuels), et du développement d'un Internet de qualité et bon marché, disponible partout. Le concept d'IoT a donc été créé pour décrire le phénomène émergent selon lequel chaque objet a la possibilité de fournir des informations sur son état présent, son passif et son devenir. Ordinateurs, téléphones, tablettes viennent évidemment à l'esprit, mais les objets considérés peuvent être de toute taille : les bus, trains et voitures sont par exemple équipés de capteurs permettant de renvoyer des informations aux utilisateurs ou à des salles de commande plus éloignées.

Tous ces objets sont susceptibles d'envoyer des informations sur leur état, en temps réel ou non, ou d'être sollicités pour effectuer une action : un ordinateur sera mis en veille ou se connectera à un serveur à distance, la vitesse d'une locomotive contrôlée et diminuée pour raisons de sécurité, l'ouverture d'un pont mobile ordonnée à l'approche d'un bateau. Dans la grande distribution, peu de chaînes d'approvisionnement ne sont pas équipées aujourd'hui d'un système de supervision et de suivi automatique. De nombreux supermarchés permettent aux consommateurs d'enregistrer leurs produits directement grâce à un scanneur portatif. Les objets connectés sont donc de plus en plus nombreux dans notre quotidien. Mais que définit­on exactement par objet ? Si l'on considère le pont mobile par exemple, le pont est­il l'objet ou est­ce le capteur permettant de mesurer ses contraintes structurelles ? Dans le second cas, l'objet est­il le capteur physique ou sa représentation virtuelle ? Toutes les réponses sont en réalité satisfaisantes : en dehors du débat philosophique et de la programmation des systèmes, cela n'a pas beaucoup d'importance. En revanche, cinq concepts clés sont à associer à l'objet : Identification, Sensibilité, Interactivité, Représentation Virtuelle et Autonomie [8].

Les 5 caractéristiques d'un objet

Identification. L'identification par type ou par entité est une notion fondamentale de l'IoT. En général, les identifiants sont numériques. Par exemple, les produits de consommation ont généralement un code barre, les livres des ISBN, etc. Des objets isolés peuvent également avoir des numéros attribués : les puces RFID stockent des codes de produits électroniques grâce à des suites de 96­bits. Les adresses IP de nos ordinateurs sont un autre exemple d'identification.

Sensibilité à son environnement. S'il peut reporter son état, un objet est également susceptible de communiquer des informations sur son environnement : température, humidité, niveau de vibrations, de bruit ou géolocalisation. Si la bande passante le permet, un objet peut également enregistrer ou jouer un flux audio et vidéo.

Interactivité. Les dernières avancées technologiques ont rendu possible l'interconnexion d'une grande variété d'objets et d'équipements. La plupart du temps, il n'est pas nécessaire que les objets soient connectés en permanence au(x) réseau(x) au(x)quel(s) ils sont rattachés. De nombreux objets dits "passifs" tels que les puces RFID n'ont besoin d'être activés que lorsqu'ils ont besoin d'échanger des informations. Les objets "actifs" peuvent eux être connectés en permanence ou lorsqu'une connexion est disponible.

Représentation virtuelle. Elle caractérise la possibilité pour un programme présent sur le cloud d'agir au nom d'un objet physique auquel il est rattaché et dont il a parfaitement connaissance. Ainsi, même un objet ne portant aucune intelligence physique peut théoriquement avoir une représentation virtuelle complexe. Cette représentation virtuelle est quelquefois nommée cyber­objet ou agent virtuel.

Autonomie. Les objets sont traités de manière individuelle, en général d'un point isolé, et opérés indépendamment d'un contrôle à distance. La notion d'apatridie est ici extrêmement importante : il ne doit pas y avoir d'intelligence centrale contrôlant l'ensemble des objets individuels de manière totalitaire. Au contraire, chaque objet est en quelque sorte autonome et indépendant, avec la capacité d'être interrogé et d'interagir avec d'autres objets du réseau lorsque nécessaire.

Potentiels et réalités 2013

Soulignons, dans la définition mentionnée plus haut, l'importance donnée... aux données. A l'heure où ces dernières sont au coeur de tous les enjeux (la thématique du Big Data a été maintes fois traitée dans les lignes du Bulletin Electronique [9]), celles produites et enregistrées par les objets communicants sont évidemment le point de convergence des acteurs du marché. On comprend l'intérêt de l'industrie IT pour le phénomène, comme l'illustre la mise en place en Chine d'un fond de 800 millions de dollars en 2011 dédié à l'Internet des Objets. Les chiffres propres au marché mondial sont révélateurs : d'après Intel, 31 milliards d'objets seront connectés à Internet en 2020. Dans les pays occidentaux, un cercle familial composé de quatre personnes possède aujourd'hui 10 objets connectés en moyenne : ce sera 25 en 2017 et 50 en 2022. Les frontières entre les différents secteurs et disciplines sont en train de s'effacer. En accélérant la convergence entre le physique et le virtuel, entre le manufacturier et le consommateur, et entre des microcomposants physiques diffus de plus en plus nombreux et une infrastructure logicielle à grande échelle basée sur le cloud, l'Internet des Objets ouvre un champ de potentiel impressionnant en matière de services.

Cependant, si le potentiel est immense, il doit être mis en perspective : en 2013, l'Internet des Objets n'en est qu'à ses prémisses. Les normes sont inexistantes, le marché est loin d'être mature, et un grand nombre d'incertitudes demeurent. Des voix se sont déjà élevées pour souligner l'écart pouvant exister entre les innovations propres à l'IoT et les attentes concrètes du public. Il est sympathique de lire les actualités en ligne en passant sa tasse à café devant un lecteur RFID, mais cela correspond­il réellement à la réalité du petit déjeuner des ménages ? Les acteurs de l'Internet des Objets ne devront pas s'égarer dans leurs rêves de science­fiction pour atteindre le seuil de la survie économique.

L'Internet des Objets au début de son essor bénéficie d'un contexte de plus en plus favorable
Crédits : MS&T, Source : [7]

Pour en savoir plus, contacts :

­ [1] BWRC ­ Berkeley Wireless Research Center: http://bwrc.eecs.berkeley.edu/
­ [2] L'internet des objets : quels enjeux pour l'Europe ? Septembre 2009. Pierre­Jean Benghozi, Sylvain Bureau, Françoise Massit. Folléa Editions. Maison des sciences de l'homme.
­ [3] L'internet des objets. Internet, mais en mieux. Juillet 2011. Philippe Gautier, Laurent Gonzalez. Editions Afnor.

Sources :

­ [4] McKinsey Global Institute. Disruptive technologies: Advances that will transform life, business, and the global economy. Mai 2013. James Manyika et al. Disponible sur : http://redirectix.bulletins­electroniques.com/Qgoja
­ [5] Bulletin Electronique Allemagne 613. L'Internet des objets est en marche. Mai 2013. Aurélien Filiali. Disponible sur : http://www.bulletins­electroniques.com/actualites/73068.htm
­ [6] Bulletin Electronique Royaume­Uni 116. Le Royaume­Uni mise sur l'Internet des objets. Août 2012. Pierre Chrzanowski. Disponible sur : http://www.bulletins­electroniques.com/actualites/70782.htm
­ [7] SVB Analytics. The Internet of Things, Market Overview and Proprietary Financial Intelligence. Juin 2013. Disponible sur : https://www.svb.com/pdf/internet­things­report/
­ [8] GigaOM's Research report. The internet of things: a market landscape. Août 2013. Jon Collins.
­ [9] Bulletin Electronique Etats­Unis 313. L'avènement du Big Data: une (r)évolution ? Décembre 2012. Pierrick Bouffaron, Basile Bouquet, Thomas Deschamps. Disponible sur: http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/71763.htm