Energy­Water Nexus : un retour de la conférence annuelle de l'Association Américaine des Ressources en Eau (AWRA'13), Portland, Oregon

28/11/2013

Les deux dernières décennies ont marqué un tournant majeur dans l'appréhension et le traitement de la question
énergétique vue au travers du prisme du changement climatique. L'épuisement alarmant des ressources, le processus accéléré de réchauffement global ­ dû notamment aux productions électriques et thermiques à partir de combustibles fossiles ­ ont forcé les prises de conscience publique et politique des défis auxquels les sociétés modernes sont confrontées à court terme. En matière énergétique, les efforts d'optimisation technique et technologique des systèmes sont désormais nombreux, selon une logique qui reste principalement économique. En ce début de 21e siècle, le secteur de l'eau doit lui­aussi faire face à des problématiques complexes à travers le monde, notamment en matière de disponibilité et de qualité des eaux [1,2]. Pendant longtemps, l'eau n'a pas été reconnue à sa juste valeur. Néanmoins, en quelques années, elle est devenue le nouvel or "bleu", en particulier dans les régions arides et semi­arides du globe où la demande croissante va régulièrement de pair avec des contraintes hydriques très fortes.

Si les secteurs de l'eau et de l'énergie ont souvent été appréhendés séparément, les scientifiques, économistes et financiers comme les pouvoirs publics ont peu à peu compris l'interdépendance étroite entre les deux ressources et les solutions communes existantes : l'eau est présente sur l'ensemble de la chaîne énergétique, tandis que l'énergie permet d'assurer tant la disponibilité que la qualité des eaux [3,4]. Le Congressional Research Service (une entité publique américaine alimentant le Congrès américain en information et en analyses... défendues comme objectives et non­partisanes) [5] a publié en août et septembre 2013 deux courts rapports d'intérêt sur la problématique Eau­Energie aux Etats­Unis, l'un abordant la production d'énergie vue au travers du prisme de la consommation en eau, le second offrant une réflexion parallèle en analysant le secteur de l'eau vis­à­vis de sa consommation en énergie. Ces deux rapports furent au centre de plusieurs sessions de la conférence annuelle tenue à Portland, Oregon, par l'Association Américaine des Ressources en Eau (AWRA) en novembre 2013 [6]. Un rapport relativement complet sur la question avait déjà été publié par le département de l'énergie en 2006, intitulé Energy Demands on Water Resources [7], tandis que le Woods Institute for the Environment de l'université de Stanford a lui aussi rendu public en août 2013 une revue de littérature assez complète : Water and Energy Nexus : A Literature Review [8].

La relation Eau­Energie, une question au coeur des débats aux Etats­Unis
Crédits : MST, Source : Fotolia

Rapport 1: Energy­Water Nexus: The Water Sector's Energy Use [9]
Disponible sur : bit.ly/1aCZzNB

Eau et énergie sont des ressources étroitement liées : répondre à la demande énergétique croissante aux Etats-Unis et dans le monde requiert des quantités considérables d'eau (pour l'exploitation minière, la production de combustibles fossiles, le refroidissement des centrales thermoélectriques ou encore la production d'hydroélectricité, etc.) tandis que les sociétés modernes ont besoin d'énergie pour pomper, traiter et distribuer l'eau aux usagers mais également pour la collecte, le traitement et le rejet des eaux usées. Outre­Atlantique et dans le monde anglo­saxon de manière générale, cette interrelation prend le nom d'Energy­Water Nexus. Nous l'avons mentionné, les dernières années ont vu l'apparition d'un consensus général sur le fait qu'économie d'énergie signifie économies d'eau et vice­versa. Qui dit économies d'énergie dit en parallèle réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'impact est donc doublement positif.

Ce premier rapport fournit des éléments de lecture sur la consommation énergétique des fournisseurs d'eau potable et des stations d'épuration aux Etats­Unis. L'énergie utlisée pour la gestion de l'eau est fonction de nombreuses variables, incluant son origine (le pompage de l'eau en surface est moins énergivore que le pompage en profondeur), le procédé utilisé pour son traitement (traiter une eau naturelle de qualité en vue de sa consommation nécessite de fait moins d'énergie qu'une eau saumâtre... ou salée), son usage final envisagé, ses schémas de distribution (une eau distribuée sur de longues distances est plus énergivore), les pertes techniques (évaporation, fuites), et niveau de traitement des eaux usées (bien que partageant une base commune, les niveaux d'exigence réglementaire sont variables entre les états américains). De la même manière, l'énergie nécessaire à un usage de l'eau spécifique varie selon différents paramètres comme la topographie (qui impacte le rechargement des réserves d'eau présentes en sous­sol, notamment les nappes phréatiques), le climat, les températures saisonnières, et les niveaux de précipitations. L'énergie consommée dans le secteur de l'eau est essentiellement électrique : les estimations aux Etats­Unis se situent entre 4% et 13% de la production électrique nationale, mais les différences régionales peuvent être importantes. La Californie sur ce point ne fait pas figure de bon élève, avec près de 19% de la facture énergétique attribuable au pompage, traitement, collecte et rejet des eaux usées [9].

Au niveau des municipalités américaines, la consommation d'énergie par les services publiques (utilities) en charge de la gestion des eaux peut représenter jusqu'à 30­40% du poste énergie. Dans les stations d'eau potable, l'usage dominant est le fonctionnement des moteurs de pompage (près de 80%). Dans les stations d'épuration, ce sont l'aération, le pompage et le traitement des matières solides qui sont les usages les plus énergivores. Plusieurs solutions d'optimisation sont envisageables sur ces deux types de sites : modernisation des équipements, amélioration du management des procédés, génération d'énergie sur site afin de favoriser l'autoconsommation et la réinjection des surplus sur le réseau. Comme dans la plupart des secteurs, il existe de réelles barrières à la mise en place d'objectifs ambitieux par les utilities, notamment économiques (coûts du capital élevés) et culturelles (les techniciens comme les équipes dirigeantes peuvent rechigner à l'installation de nouveaux procédés ou de nouvelles technologies).

Rapport 2: Energy­Water Nexus: The Energy Sector's Water Use [11]
Disponible sur : bit.ly/1eIJLkf

Assurer l'offre en eau face à une demande en énergie qui ne cesse d'augmenter peut être un réel challenge. La disponibilité locale de ressources en eau pour la production d'hydrocarbures, la génération d'hydroélectricité et le refroidissement des centrales de production d'énergie n'est pas une constante. En 2005, le refroidissement des ouvrages thermoélectriques représentaient 41% du prélèvement des eaux sur l'ensemble du territoire américain, et 6% de l'eau consommée nationalement. Les pouvoirs publics aux niveaux fédéral, étatiques et locaux doivent donc décider comment gérer au mieux les besoins hydrauliques grandissants du secteur énergétique, et savoir utiliser de manière pertinente les leviers à leur disposition pour inciter et/ou réguler le prélèvement des eaux (par exemple incitations financières, subventions, garanties de prêts, permis, régulation, planification ou éducation).

Concernant la production d'hydrocarbures, l'eau est un intrant essentiel : il est difficile de substituer sa consommation, et d'importantes quantités d'eau dégradée récupérées en fin de procédé posent des défis de stockage et de traitement. La production de gaz non conventionnel aux Etats­Unis (en forte progression depuis 2008) et les exportations annoncées dans les prochains mois [12­13] soulèvent la question des ressources en eau réelles nécessaires à son exploitation [14­15]. De nombreuses régions américaines possédant des réserves d'hydrocarbures non conventionnelles sont des régions où la compétition sur les ressources en eau est déjà intense (Colorado, Texas), où les inquiétudes concernant le rechargement des nappes phréatiques sont de plus en plus fortes (Dakota du Nord) ou des zones caractérisées par un équilibre écologique particulièrement fragile (Pennsylvanie, New York).

La production hydroélectrique quant à elle représente 8% de la production électrique américaine nette, et plus de 80% des centrales de production hydroélectrique sont refroidies grâce à la circulation d'importantes quantités d'eau. Des problématiques d'approvisionnement (sécheresse par exemple) peuvent mettre ces installations en péril : si l'Ouest des Etats­Unis apparait relativement résilient, le Nord­Ouest américain et le Texas apparaissent comme des régions à plus fort risque. De nouvelles réglementations fédérales limitant le refroidissement des centrales par des bassins à eaux vives ont été annoncées, et pourraient être un argument supplémentaire à l'arrêt progressif des centrales jugées obsolètes, qui sont souvent les plus polluantes. Les contraintes sur les ressources en eau vont­elles jouer en faveur des contraintes sur les ressources énergétiques ? Interdépendantes, nous avions dit.

Vous pouvez retrouver ces deux rapports, ainsi que de nombreuses autres études et analyses, sur le site web du Congressional Research Service : http://catalog.loc.gov/

Pour en savoir plus, contacts :

­ [5] Site web et bibliothèque du Congressional Research Service : http://catalog.loc.gov/
[6] Site de l'AWRA (Association Américaine des Ressources en Eau) : http://www.awra.org/
­ [7] Department of Energy (U.S. DOE). Energy Demands on Water Resources. Rapport au Congrès américain, décembre 2006. Disponible sur : http://redirectix.bulletins­electroniques.com/bIb0a
­ [8] Water in the West, Stanford Woods Institute for the Environment & Bill Lane Center for the American West. Water and Energy Nexus : A Literature Review. Août 2013. Disponible sur : http://redirectix.bulletins­electroniques.com/55aXH
­ [9] Claudia Copeland, Congressional Research Service. Energy­Water Nexus: The Water Sector's Energy Use bit.ly/1aCZzNB
­ [11] Nicole T. Carper, Congressional Research Service. Energy­Water Nexus: The Energy Sector's Water Use bit.ly/1eIJLkf

Sources :

­ [1] BE Etats­Unis 327 (5/04/2013). Protection des ressources en eau : une mobilisation qui devient urgente. Cécile Camerlynck, Adèle Martial. Disponible sur : http://www.bulletins­electroniques.com/actualites/72711.htm
­ [2] Rapport d'ambassade (23/07/2013). La diplomatie scientifique au service d'une meilleure gestion de l'eau pour l'agriculture, à l'heure du changement climatique. Maria Henri, Martial­Gros Adèle. Disponible sur : ­ http://www.bulletins­electroniques.com/rapports/smm13_016.htm
­ [3] World Water Development Report. World Bank, 2010.
­ [4] World Economic Forum. Thirsty energy : Water and energy in the 21st century. Energy Vision Update 2009, 2009.
­ [10] California Energy Commission (2005). California's Water­Energy Relationship. Disponible sur : http://bit.ly/eFIrG
­ [12] BE Etats­Unis 325 (22/03/2013). Quel consensus sur les risques liés à l'exploitation du gaz de schiste ? Céline Ramstein. Disponible sur : http://www.bulletins­electroniques.com/actualites/72619.htm
­ [13] Rapport d'ambassade (1/10/2012). Gaz de schistes aux Etats­Unis : recherches en vue de minimiser l'impact environnemental. Joseph Eliott, Magaud Marc, Delporte Vincent. Disponible sur : http://www.bulletins-electroniques.com/rapports/smm12_031.htm
­ [14] Department of Energy (U.S. DOE). U.S. Energy Sector Vulnerabilities to Climate Change and Extreme Weather, Report, July 2013. Disponible sur : http://redirectix.bulletins­electroniques.com/M1dSl
­ [15] BE Etats­Unis 339 (19/07/2013). La vulnérabilité des infrastructures américaines dans le domaine de l'énergie face au changement climatique et aux évènements climatiques extrêmes. Céline Ramstein. Disponible sur : http://www.bulletins­electroniques.com/actualites/73604.htm